Partir ouvrir de nouveaux itinéraires en escalade traditionnelle en Sibérie Orientale ?
C'est le projet qu'ont réalisé Thibault, Clément, Virgile, Théo et Alizée en partant 1 mois dans la région de Yakoutie. Un projet porté par une passion commune, qui aura nécessité pas moins de 8 mois de préparation. Découvrez leur récit.
Acte 1 - Elanka, la rive aux milles merveilles
Arrivés sur place, nous avons passé quelques jours avec la Fédération d'Escalade et d'Alpinisme locale. L'occasion de partager des anecdotes sur nos meilleurs coins de grimpe et de d'échanger avec les locaux, d'enseigner l'escalade dans une école locale et d'organiser les 20 jours d'autonomie à venir.
6h de route plus tard nous arrivons à destination de notre camp de base, à 20km de la première maison. On s'installe en bordure de l'eau et on commence à préparer nos affaires pour les prochains jours de grimpe;
Après 2 jours de pluie, nous voilà fin prêt à affronter ce pour quoi nous sommes venus ! Virgile s’arme de l’ensemble des coinceurs, et s’attaque à l’escalade traditionnelle d’une ligne très belle et très pure, de 35 mètres de haut, au rocher plutôt bon et sableux. Pendant ce temps, Alizée et Théo équipent les lignes du pilier. Cela donnera deux belles voies, quelque chose dans le 6a et quelque chose dans le 6c.
On profite de la corde que j’ai installé le 2ème jour pour mettre un relais au-dessus de la fissure, qui finira par devenir une belle voie école pour l’escalade traditionnelle. On essaye la ligne dure, et on estime que ça vaudra le coup de l’équiper si les locaux sont demandeurs de voies difficiles (quelque chose comme 7b, sur micro-réglettes cassantes).
Le 7ème jour les Yakoutes de la fédération nous rejoignent, le camp se remplit vite ! Rapidement le feu est allumé, et des succulents repas vont se succéder dans les énormes marmites en fonte. . Un soir, après le dessert, et à notre plus grand étonnement, nos hôtes préparent des tournedos de porc sur le feu, qui accompagneront ensuite des multiples toasts de vodka à l’amitié Franco-Yakoutes. Nous trouvons des stratagèmes inouïs pour décliner les derniers verres, et nous coucher encore lucides pour être frais le lendemain !
Les locaux s’attaquent sans aucune hésitation à nos voies, le plus souvent en grimpant en moulinette. Bien qu’ils se cassent les dents dans les mouvements techniques, même dans le 6a, ils adorent, et ils sont très heureux que le secteur s’agrandisse. Les jeunes (Vika, Tima, Sasha) nous confient que très peu de personnes dans la Fédération est habilité à ouvrir de nouveaux itinéraires, que le site et l’activité en pâtissent réellement.
Acte 2 - Les Colonnes du Monde Perdu
Nous rallions Bottomai, un village typique de Sibérie pour nous rendre au pied des Colonnes. Les deux premiers jours nous observons les lignes potentielles d'escalade, étudions la structure de la roche et la structure des colonnes. C’est un temps très important de l’aventure verticale et de l’ouverture en escalade traditionnelle. Connaissant la réputation du rocher, on cherche principalement des lignes de fissures, les plus propres possible, dans des zones aux couleurs saines. On a noté pour l’instant deux Colonnes dont l’escalade nous parait envisageable. Elles font 100 mètres de haut, environ.
Après quelques jours de pluie Virgile ne tient plus en place (c’est la fougue de la jeunesse). Alizée l’assurera sur ses premières tentatives. Clément et moi, on se partage les points de vue et les tâches de cadrage pour filmer au mieux l’ensemble des festivités. Il se lance à l’assaut de la première tour, celle qui fait partie de la « Pyramide ». L’approche est assez courte, cette tour est une des premières du secteur. Les pentes qui font office de socles aux tours sont composées de pierriers recouverts de 20 cm de mousse et d’herbe.
L’escalade est facile, mais très délicate. Chaque fois qu’il bouge un pied ou une main, la partie du caillou avec laquelle il était en contact s’effrite et tombe. Au cours de son évolution, les prises semblent ne tenir que par phénomène de pression. Le vrai problème réside dans sa « protection » (dans le jargon du grimpeur), c’est-à-dire dans les points qu’il met pour s’assurer au fur et à mesure qu’il monte. Le pitonnage est assez aléatoire : une fois sur trois le caillou se fissure et tombe en petites dalles, une fois sur trois la couche interne semble homogène et trop compacte pour que le piton s’y fasse un chemin. Quelques fois, le piton s’enfonce convenablement, en faisant trembler l’ensemble de la tour, et il se questionne sur sa fiabilité en cas de chute… Il progresse doucement, mais surement, dans une vague fissure ouverte, terreuse et peu compacte. Il arrive dans une petite niche, sous un surplomb, environ 15 mètres au-dessus du sol. Là, il doit traverser 5 mètres à gauche, dans un caillou encore plus mauvais, tristement crépitant et improtégeable. Pourtant, juste 10 mètres au-dessus commence une belle fissure qui raye l’ensemble de la colonne jusqu’à son sommet, et qui semble grimpable en 2 ou 3 longueurs. Au bout de 10 minutes de réflexion, il décide que le danger est trop grand, et le pas trop délicat. Il utile deux pitons (Petzl) et une cordelette (Beal) afin de redescendre en sécurité en récupérant les coinceurs et autres pitons d’ascension. Cette première expérience est plutôt alarmante, il semble que les 20 premiers mètres de chaque colonne y interdisent toute escalade, en obligeant le grimpeur à avancer dans un rocher délicat et aléatoire, sans aucune protection viable.
Les jours suivant nous repartons à l'assaut des colonnes en escalade et en highline. L’installation nous prend environ 3 heures. Il faudra développer entre 30 et 70 mètres de cordes statiques de chaque côté de la highline, afin d’entourer des énormes promontoires. La sécurité est primordiale à mes yeux, car je suis responsable de ce qui se passera dessus, une fois la highline installée.
La chance nous sourit : au moment où je monte sur la highline pour les premiers essais, un couple de français sort des bosquets de manière providentielle ! Ils sont de passage à la journée, et ont un drone sous la main. Ils acceptent avec grand plaisir de nous faire quelques images. Clément, qui attend avec impatience la « golden hours » s’éclate à son tour. La mission « highline » est un franc succès. Et nous signons à cet instant précis une première originale : la première highline sur les Colonnes de la Lena, sur ancrages naturels. Et par extension … la première highline de Yakoutie. Les locaux sont impressionnés, et nous félicitent.
Le départ
Arrive le jour du départ, On repasse du côté « habité » de la Lena, en quittant avec émotion le merveilleux Monde Perdu, qui nous aura tant transcendé. On rejoint Iakutsk à l’aide de notre ami Sasha, venu spécialement pour nous aider à rentrer. Les derniers jours sur place seront composés de conférences de presse, d’interviews (autant des locaux, pour notre film, que de nous pour les articles des journaux locaux), de rangements, d’achats de souvenir, de visites, etc.
Après un mois d’aventure en terres yakoutes et après avoir tissé des liens d’amitié inter-culturels très forts, on quitte la Yakoutie pour retrouver notre douce France, et raconter encore et toujours cette merveilleuse aventure, qui a permis de développer l’escalade dans une région du monde où la verticalité est un secret oublié et un rêve élancé …